• Devenir monstre ● Tokyo Ghoul

     

     

     

    « La plus grande tragédie de la vie n'est pas la mort, mais ce qui meurt en nous tandis que nous vivons. » - Norman Cousins

     

    Musique d'ambiance

     

    Devenir monstre ● Tokyo Ghoul

     

           Nombreuses sont les œuvres mettant en scène ce que l'Homme a de plus monstrueux. Littérature, cinéma, peinture, nous avons cette capacité d'introspection qui nous permet, à travers nos créations, de mettre en exergue ce que l'être humain est capable. Bien souvent, ce qui se présente à nos yeux est ce que l'on pourrait qualifier du « pire ». Parler de l'humanité dans ce qu'elle a de plus monstrueux est fascinant. Force de réalisme dans le propos par le biais de la fiction. Spectateurs comme lecteurs peuvent découvrir nombre d'œuvres transcendant l'humain afin de nous amener dans des terres aussi bien inexplorées qu'inexploitées. La monstruosité, la différence, la violence et la solitude aux antipodes des synonymes de l'humanité que sont mansuétude, abnégation, ou même bonté, s'entrechoquent dévoilant ainsi des histoires crées de toute pièces. Si l'on est rarement indifférent face au monstre, c'est qu'il représente quelque chose pour nous. Appréciées ou redoutées, ces histoires ne laissent que très rarement de marbre et se voient parfois inscrites dans notre culture, comme faisant parties de notre Histoire, de notre identité. Si Frankenstein raconte ce que l'homme est capable d'engendrer, si Dracula nous montre à quel point nous sommes des vampires entre nous, si les zombies nous montrent comme apathiques envers nos semblables, aujourd'hui nous parlerons de la peur de devenir un monstre. Car ce manga m'a marqué dans le développement de son personnage, car sa citation d'Herman Hesse me donne encore aujourd'hui des frissons, Tokyo Ghoul est pour moi l'essence même de ce que signifie devenir monstre. D'ailleurs, il est intéressant de voir que Sui Ishida se permet de glisser une référence au court roman La Métamorphose de Kafka (ici)

    Le passage d'un état à un autre peut être terrifiant. D'humain à goule. C'est le changement inexpliqué, le changement du corps, de notre personnalité qui nous inquiète, la peur de devenir un monstre, de devenir quelque chose que l'on ne maîtrise pas... Dans le manga, cette transformation physique, au départ si nébuleuse, prend peu à peu de nombreuses tournures. Tandis que l'étau se resserre, nous voyons un héro de plus en plus torturé. Si l'objet de sa torture nous est difficilement compréhensible dans l'animé, à la lecture du manga il est difficile de passer à côté. Il n'y a ni  gentil ni méchant, juste des hommes et des femmes qui luttent pour leur survie. Au milieu de tout cela, le protagoniste panique, se ridiculise et perd espoir. Démunis, nous avançons dans notre lecture. Puis nous parviennent quelques bribes d'explications sur le pourquoi de cette transformation. La brume noire du mystère s'éclaircit et enfin nous pouvons entrevoir notre jeune Kaneki, non plus seul face à sa monstruosité, mais accompagné. Il gagne en sociabilité, trouve un travail dans un petit café. La vie malgré la transformation semble reprendre son cours. Mais les goules se mêlent à sa vie d'étudiant et il est contraint d'abandonner son dernier ami humain. Le début de la descente aux enfers, les ténèbres se referment et retour en arrière est dorénavant impossible. Se suivent ensuite des prédateurs plus puissants, tantôt jaloux, tantôt intrigués, notre jeune héro ne laisse pas indifférent. Il commence même à plaire:  il n'est plus l'enfant qu'il était. Mais lui, ne sait rien de tout ça, il est encore seul au fond du trou à se chercher, à se découvrir.

     

     Devenir monstre ● Tokyo Ghoul

     

    Les explications nous parviennent et leurs braises jonchent le sol de ces cavernes ténébreuses, nous éclairant peu à peu face aux tumultueuses énigmes de l'univers que Sui Ishida nous narre. Kaneki semble manipulé depuis le début. Il ne choisit pas de devenir un sang-mêlé, il ne choisit pas non plus de rejeter les mets qu'un humain normal adorerait, il ne reste pour lui dorénavant que le café et les cadavres de suicidés jonchés au sol. C'est dans la violence et les débris qu'il est arrivé là, c'est dans le même état d'esprit qu'il détruira ce monde qui l'enferme. Héro tragique car sa vie sera une tragédie, Kaneki reste un oiseau en proie à reprendre sa liberté de force:

     

    « L'oiseau cherche à se dégager de l'œuf. L'œuf est le monde. Celui qui veut naître doit détruire un monde » Hermann Hesse

     

    Toute cette souffrance, toute ces nouvelles règles animales sur des territoires de goule, ces explications à coups de poings, toute cette odeur putrides disséminé tout au long du manga, qui semblent de plus en plus se répandre jusqu'au climax de la transformation. Ici, il n'est plus question d'explication. Ici il est question de traumatisme. Plusieurs craquements de doigts, de l'hémoglobine qui s'écoule, au rendu presque violâtre. Plus que de simple traits de dessins dans un manga, c'est la noirceur du réel qui nous est présenté, nous lecteurs. Impuissants, nous voyons notre héro pleurnichard, revêtir sa cape d'héro tragique. Un dialogue interne. Des souvenirs. Un revirement de situation. Kaneki Ken, cheveux blanc, regard monstrueux, craque ses doigts. Il n'a plus rien d'humain, sa transformation est complète: il est ... non c'est devenu un monstre. Traumatisé, il traumatisera, en prise avec un trouble de stress post-traumatique. Cet évènement opèrera chez lui une scissure avec la réalité, il a atteint un autre niveau et ne peut plus vivre une vie normale auprès de ses amis. Il abandonnera l'idée de continuer la fac, de revêtir son tablier, d'avoir une petite amie. Parfois, le visage de l'agresseur reviendra, et nous pourrions faire un parallèle avec ce qu'on appelle en psycho-trauma, le syndrome de reviviscence (Vuillard, 2018). A travers la souffrance, où nous le verrons recroquevillés, nous pourrions cette fois y voir le syndrome dissociatif (Vuillard, 2018), avec des crises de dépersonnalisation, Kaneki ne semble plus posséder son corps, d'autres souvenirs viennent entacher sa perception de la réalité. Face à l'étrangeté de ce qu'il est devenu Kaneki fuit les autres et se fuit lui-même. Il souffre et prend peur. Il ne sait pas de quoi il est capable et ne souhaite pas blesser autrui. Son identité se retrouve changé, a la base, il aime lire des romans, tout ce qu'il veut c'est vivre paisiblement et parler de littérature. Mais aujourd'hui quelles sont ses passions ? Dépossédé, littéralement aliéné par le traumatisme, par sa nouvelle vie de goule, par sa plus grande peur de devenir un monstre d'insecte (cf. Kafka) ; il errera sans but jusqu'à ce que la tragédie de sa vie, son destin, vienne mettre fin à cette tragédie et que le quatorzième tome de ce manga me marque encore, 4 ans plus tard. 

     

            Pour les auteurs Girardon et Dorey (2011), nous avons en mémoire notre évolution aussi bien physique que psychologique. Pour Pasquet (2008) le monstre ne serait alors que la « répétition d’un développement qui nous est familier mais que nous avons oublié. Il est fort probable dès lors qu’il n’y ait des monstres que parce qu’il y a une perception du monstrueux, voire une perception qui fait monstruosité. Le monstre en lui-même n’est pas monstrueux, il est une variation des formes possibles […] de déploiement de la vie par la matrice de l’espèce homo sapiens ». Dès lors, ce qui fait la monstruosité n'est pas la forme en tant que telle, mais ce qu'elle est capable de faire. C'est sa simple existence qui nous ramène à nos propres angoisses et il est normal d'en avoir peur. Il faut prendre du temps pour soi afin de faire preuve de résilience. La peur de devenir monstre, cette métamorphose se cristallise surtout à travers la crainte d'une activité monstrueuse sur le plan psychique, biologique ou comportementale. Notre corps change, notre esprit aussi, nous ne nous reconnaissons plus. C'est cette métamorphose inexpliquée qui peut nous mettre en difficulté lors de la puberté. Qui suis-je ? Que vais-je devenir ? C'est l'appréhension de l'inconnu, la peur d'être dans des ténèbres sans fin, qui nous animent dans ces moments. Par conséquent notre transformation, quelque soit son origine, se doit d'être expliquée. C'est à travers l'éclaircissement de ce qui s'est passé que l'on peut se découvrir, se comprendre et s'accepter. 

    Finalement, devenir monstre, c'est comme passer de l'enfance à l'adolescence.

     

    Références

    1. Girardon, N. & Dorey, H. (2011). L'adolescence ou la peur du monstre. Enfances & Psy, 51, 92-102.
    2. Pasquet, G.-N. 2008. « Corps de l’oubli et oubli du corps », Cultures & Sociétés, Sciences de l’homme, n° 8, Téraèdre.
    3. Vuillard, J. (2018). Le psycho-trauma : effets, risques et enjeux. Mémoires, 73, 5-7.

     


  • Commentaires

    1
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